La sélection #5 — Aurélie Lacouchie

Photo :  Natalia LL (1937, Pologne) / Sztuka konsumpcyjna / Consumer Art
 

Aurélie Lacouchie nous accueille à la bibliothèque de la MEP avec un enthousiasme et une bienveillance rare. Elle nous en ouvre les portes comme si elle nous invitait à rentrer dans l’intimité de sa maison. Elle commence par nous dévoiler les coulisses de son métier et sa sélection.

Son arrivée à la bibliothèque de la MEP, pour y occuper le poste de responsable, est récente. Elle remonte à octobre 2020, après un parcours « alambiqué, comme celui de toute histoire intéressante » — précise-t-elle.

La bibliothèque Roméo Martinez est l’un des fonds de livres photos les plus importants en Europe. Il s’est constitué quelques années à peine après la fondation du musée, à partir d’une première acquisition, vers 1984-1985. Au début, près de 2000 ouvrages appartenaient à l’historien, commissaire d’expo et critique de la photo Roméo Martinez. C’est en effet de cet homme que la bibliothèque tire son nom officiel, et son portrait accueille les lecteur.trice.s à leur arrivée dans le sous-sol du bâtiment historique rue de Fourcy, où la MEP a déménagé en 1996.

Ancienne professeure d’anglais, Aurélie Lacouchie réalise au bout de quelques années ne pas être très intéressée par l’enseignement ou par une carrière dans l’Éducation nationale. Elle se réoriente alors vers une formation comme documentaliste à l’INTD (Institut national des techniques de la documentation), au Cnam de Paris. C’est la révélation. Elle choisit vite de se spécialiser dans le domaine de la photographie. Un choix naturel, pour elle qui baigne depuis son enfance dans la culture des images. Son grand-père était en effet peintre, et son père, lui, un photographe amateur acharné.

Un stage de fin d’études à la photothèque de la Croix Rouge – effectué à un moment décisif du passage de l’argentique au numérique – donnera ainsi le ton à toute sa future carrière, qu’elle construira en passant par des photothèques ou des médiathèques de différentes institutions, en France comme à l’étranger (et plus particulièrement à Toronto).

Membre de l’ANI (Association Nationale des Iconographes) et du comité directeur Gens d’images, déléguée au Prix Nadar depuis 2018, Aurélie Lacouchie est aujourd’hui profondément ancrée dans l’écosystème de la photographie, et elle y contribue activement aussi au niveau associatif. Laissons maintenant la place à sa sélection !

 

ORDINARY MAGAZINE — MAX SIEDENTOPF & YUKI KAPPES

 

Ce drôle de magazine photo met à l’honneur dans chaque numéro un objet banal qu’on ne remarque plus tant il fait partie de notre quotidien : une éponge, un coton-tige, une paille, une chaussette… Intégré à la couverture, l’objet star est offert avec la revue. Celui-ci a été envoyé à vingt artistes à travers le monde, avec comme consigne de l’intégrer à une œuvre photographique et de lui redonner ainsi de la visibilité.

Les images se succèdent, sans transition, imprimées en pleine page à bord perdu et sans texte. La créativité des auteurs s’exprime ici dans toute sa variété : du comique au poétique, d’une idée simple à une mise en scène complexe, du sage au kitsch. Au fil des pages, on a envie de se plier à l’exercice, de laisser vagabonder son imagination pour rendre extraordinaire un objet ordinaire.

Ordinary Magazine, Ordinary Publishing

 

SALAMI DREAMING — MICHELLE MAGUIRE

 

C’est une histoire de famille. Aaron Beck, le mari de la photographe, raconte l’histoire de Aunt Doll. Américaine d’origine italienne, elle a 85 ans et a toujours vécu dans sa petite ville, au fin fond de l'Ohio, à deux heures de route de sa petite-nièce. Sa vie est truffée d’anecdotes toutes aussi colorées que les illustrations. Doll mange, jure, prend le soleil, regarde le sport sur sa grande télévision. 

Salami Dreamin’ est un livre d'artiste de Michelle Maguire tiré à 50 exemplaires et publié en 2015, relié et imprimé avec soin sur des pages épaisses. Chaque image a été lithographiée et sérigraphiée : les traits de la vieille dame, en noir et blanc, sont mis en valeur par les aplats de couleurs vives qui complètent l’image. Sans détails superflus, on se concentre sur son caractère. On s’installe confortablement et on se laisse porter dans l’univers d’Aunt Doll. 

Salami Dreaming, autopublication

 
 

 « J’ai choisi ces ouvrages qui rappellent que le livre est une expérience entière : ce n'est pas juste un objet qu’on regarderait comme des images sur un écran ou sur un mur. Avec un livre ou une revue, on rentre dans l'intimité de l'œuvre, du sujet. Le lecteur peut entrer en communion avec l'objet, ses images, ses mots. »

– Aurélie Lacouchie

 
 

MAYDAN : HUNDRED PORTRAITS — EMERIC LHUISSET

 

Après plusieurs mois d'occupation de la place Maïdan à Kiev par des manifestants organisés par groupes de 100, le président Lanoukovitch ordonne de tirer sur la foule. Il y a une centaine de morts. Emeric Lhuisset réalise 100 portraits de ces volontaires du mouvement populaire. Il leur demande de répondre à deux questions sur l’avenir de la situation politique, leurs rêves et leurs prédictions. C’est un grand livre, chaque portrait fait face à la reproduction du questionnaire manuscrit. Le papier journal évoque les médias, car c’est ici que se trouve la parole des manifestants, en dehors du prisme de la propagande officielle. L’ouvrage peut se transformer pour s’exposer : les pages se détachent facilement pour être affichées et toucher d’autres publics. Un deuxième volume paraît cet été, avec cent visages cachés, réalisés en Ukraine en mars 2022.

Maydan : Hundred portraits, André Frères

 

MY MOTHER’S CUPBOARD, MY FATHER’S WORDS — ANNA FOX

 

Un tout petit livre rose, qui tient dans la main. Le lecteur doit s'approcher pour lire le texte et découvrir en détail les images. Anna Fox utilise le format de l’objet afin de présenter son reportage au sein de l’intimité familiale. On découvre les placards (trop) bien rangés de sa mère, avec une vaisselle aux couleurs douces. En face, les mots fleuris de son père, qui débordent de méchanceté et de grossièreté, trahissent une relation étouffante. L’ouvrage miniature permet de jouer avec la perception du lecteur. 

My Mother's Cupboards, My Father's Words, Shoreditch Biennale

 

UNE HISTOIRE MONDIALE DES FEMMES PHOTOGRAPHES — SOUS LA DIRECTION DE LUCE LEBART ET MARIE ROBERT

 

Quand on parle de livre de photographie, il y a ceux réalisés par des artistes bien sûr, mais aussi des livres de référence. Dans les anthologies remarquables parues ces dernières années, j’ai retenu Une histoire mondiale des femmes photographes, qui vise à montrer toute la diversité et la richesse de la production iconographique des femmes.

Très illustré, l’ouvrage présente de nombreuses femmes photographes par ordre chronologique, du 19e siècle à aujourd’hui, originaires des quatre coins du globe. Il nous offre aussi un voyage à travers toutes les pratiques photographiques. Et pour restituer la diversité de leurs parcours, 160 autrices du monde entier ont été invitées à écrire sur leur pratique. Un classique à picorer, à lire et à relire.

Une histoire mondiale des femmes photographes, éditions Textuel

 

Un article écrit par Nando Gizzi • Instagram

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