VISION #44 - Émeric Lhuisset

 
 

Après avoir grimpé en vélo l’une des routes les plus pentues de Paris, j’arrive tout en haut du 20e arrondissement, dans l’atelier d’Émeric Lhuisset. Dans cette pièce située au rez-de-chaussée, on retrouve entre autres de grands tirages, notamment les séries Théâtre de guerre et L'autre rive, évoquées ensuite dans le podcast. On voit aussi plusieurs livres, un gilet pare-balles griffé du mot PRESS, un casque de protection… On ne peut pas se tromper, Émeric Lhuisset travaille bien dans des pays en guerre. Le regard alerte, quasi hypnotique, l’artiste prend le temps – à l’instar de ses nombreux projets engagés réalisés au long cours – de réaliser avec moi cet entretien de plus d’une heure.

 
 
Photo : Émeric Lhuisset, L'autre Rive, 2011, 2017
 
 

Chaque vision est singulière, porteuse de sens et de changement. Le but de ce format est de rassembler de nombreux artistes et que chacun nous délivre sa vision et son expérience de la photographie.

 
 
 
Photo : Émeric Lhuisset, Théâtre de guerre, 2011-2012
 
 

Né en 1983, Émeric Lhuisset a grandi en banlieue parisienne. Diplômé en art et en géopolitique, il devient un peu plus tard professeur à Sciences Po avec des cours portant sur la thématique de l’art contemporain et de la géopolitique. C’est sa pratique artistique qui nous intéresse aujourd’hui. Peut-on le qualifier de photographe, de chercheur, d’artiste historien ou même d’artiste plasticien ? C’est cette dernière formule qu’il préfère, cela « l’enferme moins ». Pourtant, il utilise majoritairement le médium de la photographie pour exprimer son propos. Pour reprendre sa définition, Émeric considère en fait son travail comme une « retranscription artistique d’analyses géopolitiques ». Détournant les codes, il nous interroge sur le réel et sa représentation.

 
 
 
 

De Kaboul à Kirkuk en passant par les montagnes du Pakistan, d’Irak, de Colombie ou plus récemment l’Ukraine, Émeric Lhuisset cherche à faire questionner le regardeur sur la représentation du conflit : faisant rejouer leur propre réalité à des combattants d’un groupe de guérilla dans des mises en scène de peintures de la guerre franco- prussienne de 1870, filmant en continu 24h de la vie d’un combattant de l’armée syrienne Libre dans la province d’Alep et d’Idlib, réfléchissant au moyen d’apporter plus de confort aux combattants en transformant, le temps d’une trêve, leurs armes en objets usuels, travaillant sur le lien entre jeux vidéo et zone de guerre avec les FARC…

 
 
 
 
 
 

« Je pense que la photographie de guerre telle qu’elle s’est faite tout au long du 20ème siècle est aujourd’hui obsolète. L’image amateur a pris le dessus sur les images faites par les photographes professionnels. »

– Émeric Lhuisset

 
 
 
 
 

Dans ce podcast, Émeric évoque notamment la série Théâtre de guerre et les rapports entre mise en scène et fiction, document et approche post-documentaire de son travail. Dans ce projet, il met en place des jeux d’éclairage, des poses, des compositions évoquant la peinture d’histoire. Tout cela afin de mettre en scène le réel, un réel plein de violences et de souffrances. C’est une manière de travailler, de participer à la construction d’un récit historique. L’artiste parle également de la série L’autre rive pour laquelle il a utilisé le cyanotype, un procédé photographique monochrome négatif ancien, et sa façon singulière de l’exposer en faisant disparaître peu à peu les images.

 
 
Photos - en haut et ici : Émeric Lhuisset, Hundred portraits of Maydan, Ukraine, février 2014
 
 

Émeric Lhuisset s’interroge plus globalement sur la place du reporter de guerre aujourd’hui, l’obsolescence certaine de la photographie de guerre « traditionnelle », l’apparition de la photographie numérique et aussi l’utilisation de plus en plus massive du smartphone par des civils et des combattants témoins qui réalisent des images amateur dans des zones de guerre.

Pour illustrer ses propos, il évoque avec nous ses derniers projets réalisés en Ukraine, qu’il expose d’ailleurs en ce moment au Centre Pompidou dans le cadre du festival Hors Pistes, dans une installation multimédia, L’Obier rouge, qui est composée de sept « chapitres » articulant un récit qu’il construit. Des manifestations de la place Maïdan en 2014 à l'actuel conflit russo-ukrainien, le photographe a en effet été le témoin privilégié des soubresauts de l'histoire du pays. Emeric conclut d’une belle manière le podcast en nous lisant une citation touchante tirée de son livre Maydan : Hundred Faces (qui est mentionné dans La sélection #5).

 
 
Photo : Émeric Lhuisset, Hundred Hidden Faces, Ukraine, mars 2022
 

Partenaire :

MPB, la plus grande plateforme en ligne au monde pour acheter, vendre et échanger du matériel photo et vidéo d’occasion.

 

Crédits :

Un podcast réalisé et écrit par Aliocha Boi, produit par Noyau.studio, monté et mixé par Virgile Loiseau et mis en musique par Charlie Janiaut et Akhira Sano et son projet Particle Dialogue - Observation and Recording.

Liens :

Instagram
www.emericlhuisset.com/
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